« Les relations qu’entretint Gustave Flaubert avec le phoque ne se limitèrent pas à une simple ressemblance physique »

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« Le Phoque de Flaubert », de Georges Guitton (Presses universitaires de Rennes, 2021).

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En 2022, atteinte de « phocomanie » fulgurante, je me suis ruée en baie de Somme afin d’y observer des phoques. Ce ne fut qu’extase et joie. Mon cas est loin d’être isolé ; nous sommes nombreux à avoir été ainsi envoûtés par les charmes de l’animal.

Gustave Flaubert, par exemple, fut lui aussi fasciné par un pinnipède croisé à Rennes en 1847. Dans Par les champs et par les grèves (éd. G. Charpentier et Cie, 1886), il décrit cet animal, pour le coup captif, dont il aperçoit la tête humide sortant de l’eau d’un baquet : « Ses narines ressemblant à deux coupures symétriques se dilataient et se contractaient avec bruit, et il vous regardait tristement de ses deux gros yeux noirs. »

A l’époque, comme l’explique Le Phoque de Flaubert, de Georges Guitton (Presses universitaires de Rennes, 2021), l’Europe s’était prise de passion pour ce mammifère, alors montré de ville en ville par des saltimbanques. Si l’on sait que deux phoques pataugeaient déjà dans les douves d’Amboise (Indre-et-Loire) sous François Ier, au XVIe siècle, l’engouement pour l’animal remonte au XVIIIe siècle. Dans les années 1840, il est à son comble. Il faut dire qu’on lui avait trouvé d’autres qualités que sa plastique douce, son intelligence et ses facultés d’apprentissage : on le prétendait capable de parler. Il était même supposé dire : « Papa, maman. »

Perspective sensuelle

Quelques années plus tard, cependant, l’étoile du phoque pâlit. Il devient un objet de risée, de mépris. Son mutisme agace et déçoit : il dépérit lentement. C’est la fin d’un règne et d’un monde. Arrive le sacre de l’otarie républicaine, du cirque et du chapiteau. Flaubert, l’antimoderne, le déplore.

Comment ne pas avoir le cœur serré, en effet, devant le spectacle du phoque avalant lentement des anguilles « en les mangeant par le milieu » : « Les deux bouts lui sortant de la bouche faisaient de chaque côté de son museau comme deux longues moustaches blanches. » Deux longues moustaches… On croirait lire un autoportrait. Le phoque, c’est lui. La couverture du livre de Georges Guitton atteste de cette ressemblance entre « l’hippopotame de baquet » et Gustave : le crâne rond, les yeux noirs, les moustaches, la corpulence, etc.

Les relations qu’entretint l’écrivain avec la bête ne se limitèrent cependant pas à une rencontre bretonne inopinée ou à une simple ressemblance physique : dans une lettre à la poétesse Louise Colet, il fait part de sa « grande envie de devenir phoque ». Voilà une perspective sensuelle, animale et marine, qui correspond parfaitement au romancier. D’ailleurs, le mammifère lui colle déjà à la peau : en 1849, lors de son voyage avec Maxime Du Camp en Orient, il portait un sac en « veau marin à bretelles rembourrées ».

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