Le comédien Axel Bogousslavsky est mort


Axel Bogousslavsky était un petit homme fluet et un acteur monumental. « Un ange », témoignent, sur les réseaux sociaux, ceux qui l’ont connu et aimé. C’était un comédien artisan comme on n’en croise pas si souvent : discret, pudique, mélancolique, avec, dans l’œil, la joie exubérante mais contenue de celui qui se sait à sa place sur les planches des théâtres. Alors qu’il vient de mourir, samedi 26 août, à Cannes, à l’âge de 86 ans, Axel Bogousslavsky emporte avec lui un peu de cette enfance dont l’art ne saurait se passer s’il veut continuer à grandir. Une enfance qui n’a jamais déserté ce comédien à qui on ne donnait pas d’âge tant il paraissait échapper à la fatalité des années qui lestent les corps, ralentissent les mouvements, entravent les mémoires pour, finalement, éloigner des scènes les plus anciens de leurs serviteurs.
En 2021, lui jouait encore au Japon, dans La Cerisaie, de Tchekhov, mise en scène par Daniel Jeanneteau. La même année, il participait au Mélisande, de Maeterlinck, que créait Richard Brunel à l’Opéra de Lyon. En le conviant à leurs côtés et à plusieurs reprises, ces deux artistes (et, avec eux, les metteurs en scène Lazare, Jean-Michel Rabeux, Marie-Christine Soma, Xavier Marchand, Julie Berès, Bruno Bayen, Etienne Pommeret ou Jean-Baptiste Sastre) ne s’y sont pas trompés. Quel que soit le spectacle dans lequel il apparaissait, Axel Bogousslavsky y faisait surgir un monde à lui, où le silence précédait le mot, enrobant la parole de mystère, déréalisant le familier pour donner chair à l’étrangeté.
Singulière présence qui n’avait pas besoin d’exhibition tapageuse pour être. Irréductible sauvagerie, entre le céleste et le terrien, forgée à coup sûr dans une solitude aimée, lorsque gamin, il crevait les roues de son vélo pour ne pas aller à l’école et dormait « sous le ciel et les nuages », confiait-il en 2012 au micro de Laure Adler (« Hors-champs », France Culture).
Proche de Marguerite Duras
Connecté au cosmos plus qu’à l’ordinaire d’une maison, Axel Bogousslavsky a peu vécu avec ses parents. Son père était un faussaire d’origine ukrainienne. Sa mère, Denise, l’envoie dans des familles d’adoption, puis, jusqu’à l’adolescence, dans une communauté fondée par Lanza del Vasto, un disciple de Gandhi.
Il apprend de l’univers ces choses improbables que la normalité ignore. Il déchiffre les signes de la nature, il fait mille boulots, il voyage, il fréquente les situationnistes. Ami de Jean Mascolo, il en rencontre la mère, Marguerite Duras, dont il devient un proche. En 1985, pour son film Les Enfants, la romancière le dirige dans le rôle d’Ernesto, élève récalcitrant qui refuse d’aller à l’école parce qu’on lui apprend ce qu’il ne sait pas. Et puis, elle lui a aussi présenté Claude Régy (1923-2019) qui cherche un comédien pour incarner un caporal vietnamien muet dans L’Eden Cinéma (adapté d’Un barrage contre le Pacifique, 1950). L’essai est concluant. Le comédien et le metteur en scène ne se quitteront plus. Le lien, entre eux, est « intuitif » et a l’évidence d’une « respiration », dira Axel Bogousslavsky.
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