comment les “Notes” Twitter contrarient les politiques

Depuis plusieurs semaines, une nouvelle bataille fait rage sur Twitter. Elle prend la forme de nouvelles notes de contextes, ajoutées sous certains tweets.
Câest un court commentaire qui a provoquĂ© un Ă©lan de colĂšre. Mi-aoĂ»t, un tweet de la dĂ©putĂ©e EELV Sandrine Rousseau se voit affublĂ© dâune “Note” Twitter, une fonction dĂ©ployĂ©e depuis peu en France, qui permet aux utilisateurs dâajouter – anonynement – des Ă©lĂ©ments de contexte Ă nâimporte quel message. Un outil collaboratif, gĂ©rĂ© par les utilisateurs de Twitter (rebaptisĂ© X), inspirĂ© de WikipĂ©dia, et censĂ© sâauto-rĂ©guler.
Ce 13 aoĂ»t, Sandrine Rousseau publie en effet un message Ă©voquant les “violences masculines”, parmi lesquelles lâinceste – les agresseurs Ă©tant majoritairement des hommes. Elle mentionne alors le chiffre de “3 enfants” victimes dâinceste par classe. Une statistique difficile Ă Ă©tablir, mais rapidement affublĂ©e d’une “Note” Twitter, remettant ce chiffre en cause.
“‘Trois enfants incestĂ©s par classe’ provient d’une enquĂȘte en ligne d’Ipsos auprĂšs de 1000 personnes. La notion de ‘vĂ©cu de situation d’inceste’ utilisĂ©e, est trĂšs large et comprend notamment le fait d’avoir subi la nuditĂ© de ses parents comme des confidences sexuelles”, assurait alors la “Note”.
“Jâai tout de suite demandĂ© Ă Twitter une contre-Ă©valuation de la note qui minimisait la pĂ©docriminalitĂ©”, explique, encore furieuse, Sandrine Rousseau Ă Tech&Co.
La note a ensuite Ă©tĂ© supprimĂ©e, bien quâelle reste accessible dans le menu dĂ©diĂ©, pour les internautes sâĂ©tant inscrit comme contributeur.
“Quand jâai vu arriver cette fonction, jâai trouvĂ© ça positif. Mais Ă lâusage, ça aggrave le problĂšme de Twitter”, estime-t-elle, jugeant que lâoutil est dĂ©voyĂ© pour “dĂ©crĂ©dibiliser une parole”.
“Pas de droit de rĂ©ponse”
Un point de vue que lâĂ©lue Ă©cologiste est loin dâĂȘtre la seule Ă partager. Le 21 aoĂ»t, le dĂ©putĂ© RN Thomas MĂ©nagĂ©, interrogĂ© sur France Inter, assurait ne pas vouloir imaginer une politique uniquement en se basant sur “les donnĂ©es du Giec”, groupe international d’experts sur le climat de l’Onu. Dans les heures qui suivent, une “Note” prĂ©cise que le Giec “ne produit pas de donnĂ©es” et “nâexagĂšre pas”.
“Ceux qui ont rĂ©digĂ© la note sont techniquement dans le vrai”, admet Thomas MĂ©nagĂ©, auprĂšs de Tech&Co. Mais il rappelle aussi la difficultĂ© pour un politique de “rĂ©sumer sa pensĂ©e, sans trop la rĂ©sumer”.
“Cela va forcĂ©ment influencer notre maniĂšre de communiquer par tweet”, anticipe-t-il.
Comme Sandrine Rousseau, Thomas MĂ©nagĂ© assure apprĂ©cier le concept dâun outil collaboratif visant Ă mettre en contexte un propos mensonger. Mais il dĂ©plore lâabsence de droit de rĂ©ponse de la personne visĂ©e. Un point de vue lĂ encore partagĂ© par plusieurs Ă©lus, qui ont vu lâun de leurs tweets affublĂ© dâune telle “Note”, dont lâĂ©lu LFI Hadrien Clouet.
“Jâai le sentiment que ces notes sont un nouvel espace de lutte. Un petit groupe bien organisĂ© peut maintenant jeter le discrĂ©dit ou mettre en cause les propos tenus par autrui. Le tout, sans droit de rĂ©ponse”, regrette lâĂ©lu auprĂšs de Tech&Co.
Le 19 aoĂ»t, il avait ainsi Ă©voquĂ© une impossibilitĂ© de trouver un mĂ©dicament (le Movicol), dans quatre pharmacies dâune mĂȘme rĂ©gion. Une “Note” Twitter a ensuite Ă©tĂ© affichĂ©e pour prĂ©ciser que le mĂ©dicament nâĂ©tait pas en “situation de pĂ©nurie” selon lâANSM, l’Agence du mĂ©dicament.
“Pointer le fait quâil manque un mĂ©dicament localement nâimplique pas forcĂ©ment une pĂ©nurie au niveau national. Ce sont des propos qui tapent Ă cĂŽtĂ© du propos initial pour jeter le discrĂ©dit”, juge Hadrien Clouet.
Risque de manipulation
Car malgrĂ© son fonctionnement thĂ©orique inspirĂ© de WikipĂ©dia, lâoutil de Twitter semble toujours mallĂ©able Ă la manipulation, parfois appelĂ©e “astroturfing”, remarque le dĂ©putĂ© Julien Bayou – Ă©galement visĂ© par une”Note” le 2 aoĂ»t dernier sur le sujet du nuclĂ©aire – auprĂšs de Tech&Co. Souvent utilisĂ©e Ă des fins politiques, l’astroturfing est une mĂ©thode consistant Ă communiquer de façon coordonnĂ©e sur un rĂ©seau social pour faire Ă©merger une opinion.
“Nous ne nous sommes pas organisĂ©s en armĂ©e numĂ©rique pour faire des notes politiques. Certains militants se sont mis en contributeurs – dont moi – mais pas de maniĂšre organisĂ©e”, assure de son cĂŽtĂ© Antoine LĂ©aument, dĂ©putĂ© LFI, dont plusieurs messages ont Ă©tĂ© “Ă©pinglĂ©s”.
Depuis le dĂ©but du mois dâaoĂ»t, les “Notes” Twitter visent trĂšs largement des personnalitĂ©s de gauche, parmi les Ă©lus concernĂ©s. Une trentaine de “mises en contexte” ont ainsi Ă©tĂ© Ă©pinglĂ©es sur des messages comme ceux citĂ©s plus haut, ou encore sur des publications de Marine Tondelier (EELV), Mathilde Panot (LFI), ou ClĂ©mentine Autain (LFI).
DâaprĂšs lâhistorique de tweets du compte officiel des “Notes Twitter”, seuls deux Ă©lus de droite et d’extrĂȘme droite (le LR Eric Ciotti et le RN Thomas MĂ©nagĂ©) ont de leur cĂŽtĂ© Ă©tĂ© concernĂ©s par la publication de “Notes”. Des messages qui visent toutefois le gouvernement – Ă une dizaine de reprises depuis le dĂ©but du mois d’aoĂ»t.
“On corrige les gens, pas du savoir”
Pour lâheure, X (ex-Twitter) – qui ne rĂ©pond pas aux mĂ©dias – ne communique pas sur le nombre de contributeurs français Ă son outil. Ce chiffre pourrait pourtant donner une idĂ©e de la porositĂ© – ou non – du systĂšme aux tentatives de manipulation par des groupes de militants politiques bien organisĂ©s: une coordination qui pourrait par exemple ĂȘtre utilisĂ©e pour voter massivement pour une “Note”, afin que celle-ci soit affichĂ©e Ă tous les utilisateurs.
Si Twitter compare volontiers son outil Ă WikipĂ©dia, les Ă©lus sont plus partagĂ©s, mettant en avant une diffĂ©rence de taille avec l’encyclopĂ©die en ligne: l’opacitĂ© totale sur l’identitĂ© des contributeurs, Ă©galement chargĂ©s de valider les “Notes” ou non. “Elles sont anonymes. Ăa me semble ĂȘtre une entreprise de dĂ©crĂ©dibilisation de toute parole qui ne plaĂźt pas”, regrette Sandrine Rousseau.
“Tous les propos identiques ne sont pas concernĂ©s par une note. On corrige des gens et pas du savoir, contrairement Ă WikipĂ©dia”, juge ainsi Hadrien Clouet.
“WikipĂ©dia, ce sont des pages qui restent, qui sont lues, et qui peuvent ĂȘtre corrigĂ©es. Il suffit de faire une fausse ‘Note’, qui est ensuite noyĂ©e dans le flux de Twitter, mais qui a dĂ©crĂ©dibilisĂ© lâauteur du tweet”, abonde Sandrine Rousseau. L’Ă©cologiste voit finalement dans cette fonction “un outil culturel supplĂ©mentaire dans la bataille dâElon Musk”.