Armand Duplantis vole loin au-dessus de la mêlée malgré une finale très relevée


Ces dix-neuvièmes championnats du monde ont offert de magnifiques contre-pieds, sacrant des championnes et des champions inattendus et détrônant à l’inverse des athlètes ultra-favoris. Vendredi encore, la triple sauteuse Yulimar Rojas, invaincue depuis 2017 en grand championnat, a failli trébucher avant de se reprendre in extremis à son dernier saut.
Samedi, au bout du perchoir hongrois, personne n’imaginait une défaite d’Armand Duplantis. Les surprises et les désillusions ne font pas partie de l’horizon du champion suédo-américain de saut à la perche. Le champion du monde de 23 ans a conservé son titre au terme d’une superbe finale où deux perchistes ont franchi au moins six mètres.
Il s’impose grâce à une barre à 6,10 mètres devant le Philippin Ernest John Obiena (6 mètres). L’Australien Kurtis Marschall et l’Américain Christopher Nilsen terminent à la troisième place à égalité en 5,95 mètres. Un temps leader du concours, le Français Thibaut Collet a été le cinquième perchiste à passer au moins 5,90 mètres (inédit en championnat du monde), battant son record personnel de 8 centimètres. Il a pris une prometteuse cinquième place à 24 ans.
Depuis cinq ans, Duplantis a imposé une telle domination à sa discipline, repoussé les limites humaines de son sport à un tel niveau, que l’on a impression de n’avoir connu que lui, triomphant perche à la main à l’issue de chaque concours comme une histoire sans fin.
Les autres concurrents, même ceux qui ont intégré le club des six mètres, en sont réduits à faire de la figuration. « Le patron maintenant, c’est Mondo », comme l’exprimait avec un mélange de résignation et d’admiration son ami et mentor Renaud Lavillenie en février 2020. A Budapest, en finale, ses adversaires ont tenté tout ce qui était en leurs moyens pour le perturber. Ils ont été trois à franchir comme lui 5,95 mètres au premier essai : le Philippin Ernest John Obiena, l’Australien Kurtis Marschall et l’Américain Christopher Nilsen.
Quand ses trois rivaux manquaient tous leur première tentative à 6 mètres – Obiena, vice-champion du monde, a franchi cette barre à son deuxième essai -, Duplantis a survolé d’entrée cette hauteur mythique avec une aisance inégalée et une marge déconcertante, son 67e saut à six mètres ou plus. Ensuite, il a avalé comme d’autres leur expresso au comptoir deux barres à 6,05 mètres et à 6,10 mètres.
Perchiste alpiniste
Ces hauteurs-là font partie prenante de son quotidien, elles appartiennent à son monde. Le monde de « Mondo » est celui d’un perchiste alpiniste à qui il faut toujours conquérir des sommets plus hauts. Et cette fois-ci, il n’a pas atteint son Everest, échouant trois fois à améliorer son record du monde à 6,23 mètres.
L’an passé, Duplantis avait battu trois records du monde : deux cet hiver en salle (6,19 mètres et 6,20 mètres) et un en plein air en Oregon lors des Mondiaux en 6,21 mètres. Cette année, il avait une nouvelle fois amélioré le record en salle pour le hisser à 6,22 mètres en février à Clermont-Ferrand. Son premier record du monde date du 8 février 2020, à l’époque le jeune impudent effaçait des tablettes son prédécesseur Lavillenie (6,17 mètres contre 6,16 mètres), celui-là même qui avait supplanté le Tsar Sergeï Bubka.
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En 2017, pas encore majeur, Armand Duplantis, 9e, s’était offert une première discrète à Londres lors de ses premiers championnats du monde. Un an plus tard, à seulement 18 ans, il mettait tout le monde d’accord en passant 6,05 mètres en finale des championnats d’Europe à Berlin. Au même âge, Renaud Lavillenie ne sautait que 4,81 mètres et Sergeï Bubka « seulement » 5,40 mètres.
En 2019 à Doha, alors qu’il a abandonné son statut d’étudiant à l’Université Louisiana State University (LSU) que depuis quelques mois, il poursuivait son apprentissage – deuxième d’un championnat remporté par Sam Kendricks – et conférait à l’adversité une dernière miette avant de l’écraser par sa gloire à venir.
Né à Lafayette en Lousiane, Armand Duplantis est un enfant de la balle. Son père Greg était un honnête perchiste de taille modeste avec un record à 5,80 mètres, sa mère Helena, une talentueuse et grande heptathlète scandinave. Le petit « diable » a grandi une perche à la main dans son jardin de Lafayette. Son grand frère, Andreas, sautait lui aussi. Dès l’âge de quatre ans, dans un mimétisme de troupe familiale, le petit Mondo l’imitait lors de ses premiers sauts.
Greg Duplantis est son entraîneur de toujours en ce qui concerne sa technique de saut à la perche. Depuis qu’il s’est mis à travailler sa préparation physique, c’est sa mère qui s’en charge, en plus du travail sur sa course d’élan. « Il a mes longues jambes et mes longs bras mais il tient sa rapidité et sa mentalité de son papa », confiait au Monde en 2019 la longiligne Helena Duplantis.
Enfant de la balle
Avant qu’il ne batte ses records du monde senior mais alors qu’il était déjà champion d’Europe et recordman du monde junior, Armand Duplantis écumait les meetings universitaires du championnat NCAA. Sous la bannière de LSU, il franchissait dans l’indifférence générale des barres de niveau mondial dans un stade de 5 000 places, à l’ombre de l’enceinte gigantesque de plus de 100 000 place des footballeurs US, stars de l’université de Lousiane.
Imperturbable, souriant et sûr de sa force et de son talent, le petit génie de la perche partage son temps entre Stokholm et la Louisiane quand il n’écume pas les meetings et les compétitions. « Il n’aime pas trop la nouveauté, expliquait Helena Duplantis à l’AFP avant ces Mondiaux, Il n’aime pas faire de nouveaux exercices de gammes à l’entraînement juste histoire de changer. Ça ne le dérange pas de répéter les choses, de se préparer comme ça, mois après mois. »
Après tout, pourquoi changer une méthode qui gagne ? Désormais double champion du monde, Armand Duplantis se dirige tout droit vers un deuxième titre olympique l’an prochain à Paris. Un exploit que même Bubka et Lavillenie, titrés une seule fois, n’ont jamais réussi et qui le ferait rejoindre l’Américain Bob Richards, deux médailles d’or en 1948 et 1956 qui lui valurent le surnom de « pasteur volant. » Pour Mondo, il n’y a aucune limite.